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La ligue la plus extraordinaire !

Alors que Panini se prépare à sortir le dernier tome de la trilogie consacrée à Janni Dakkar, fille de Nemo, voici une occasion de revenir sur la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, une des œuvres majeures (j’en assume la dénomination) de Alan Moore, grand gourou anticonformiste et réact’ des comics.

La Ligue… sur le papier

Alan Moore

Consacré par Watchmen et V for Vendetta, Alan Moore lance les premiers épisodes de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires en 1999, chez Wildstorm dans la collection America’s Best Comics (ABC). Ces premières éditions sont notamment marquées par la tension qui existe entre Moore et DC, alors acquéreur de Wildstorm. En effet, l’auteur est en conflit avec l’éditeur depuis les années 1980 pour des questions de manquement à l’indépendance artistique et au respect de la propriété intellectuelle de l’artiste… Moore étant très à cheval sur ce tout ce qui touche à ses créations. Toutefois, il réussit à imposer ses conditions et obtient une liberté totale sur la rédaction de ses scénarios. Une chance pour ses lecteurs…
Kevin O'NeilLa Ligue voit donc le jour, 100% à la sauce Moore, sous le crayon du talentueux Kévin O’Neil, dont le trait accidenté, voire rugueux et agressif, illustre parfaitement l’ambiance de la série… sauvage, violente et crue.

Le parti-pris du scénario est des plus intéressants : la Ligue se situe à l’époque victorienne, en Angleterre, et son univers intègre de nombreuses mythologies et histoires de science-fiction comme faits réels. Ainsi, les dieux grecs ont réellement existé, Dracula aussi, de même qu’il y a des martiens sur Mars, etc. L’auteur met alors en avant une association de personnages issus de la littérature fantastique du XIXe siècle… mais qui sont bien réels eux aussi. Certains rencontrent même les écrivains qui les ont créés… devenant, pour le coup, des espèces de biographes ayant romancé et exploité les aventures des héros, bien malgré eux. En effet, Moore change certaines histoires que nous connaissons et leur fin n’est pas l’exacte vérité dans l’univers de la Ligue. Par exemple, le couple de Mina et Jonathan Hacker n’a pas la destinée heureuse supposée dans les dernières pages du roman de Bram Stocker… dans la Ligue, ils ont divorcé ! L’auteur s’amuse donc à offrir une version plutôt désenchantée de ces personnages et parfois même un obscur reflet de ce qu’ils étaient à l’origine.

Moore profite aussi de cet univers pour reprendre un de ces thèmes de prédilection : le régime totalitariste. L’oppression et la tyrannie semblent fasciner l’auteur qui confronte volontiers ses héros à une situation où leur liberté est très compromise. Que ce soit dans son run sur Captain Britain, dans Watchmen et, bien sûr, dans V for Vendetta, le contexte politique trouve toujours écho au régime hitlérien ainsi qu’à l’ambiance « Big Brother » du roman 1984. Moore, anarchiste proclamé, s’ingénue ainsi à dénoncer les travers des gouvernements (enfin, surtout celui de l’Angleterre) en les accentuant sans toutefois les caricaturer… donnant, de ce fait, encore plus de force à ses revendications ! La Ligue évolue donc, dès ses débuts, dans une Angleterre plus rigide que celle de notre monde… il en fera même un état totalitaire, à l’image de celui de 1984, entre 1948 et 1956 (Le Dossier Noir, Panini – octobre 2013).

Guide de lecture

Projet conçu à l’origine autour de deux mini-séries, son succès et la richesse de son univers ont poussé les auteurs à poursuivre leur oeuvre. Toutefois, si DC (sous le label Wildstorm) avait consenti à publier les deux premiers récits, la suite est devenue plus problématique… En effet, l’utilisation de nombreux personnages issus de la littérature classique risquait de se soumettre à des questions de droits d’auteurs et DC ne voulait pas risquer de procès (vu leurs difficultés avec les familles des créateurs de Superman, on ne peut pas leur en vouloir). La composition du Dossier Noir a été la goutte d’eau en trop… Contenant de nombreuses références et prévu par Moore d’être accompagné d’un CD de chansons, DC fait blocage et l’auteur claque la porte pour se tourner vers les éditeurs indépendants. C’est d’ailleurs principalement chez Top Shelf que le reste des aventures de la Ligue sera publié. En voici d’ailleurs un listing, dans l’ordre chronologique de lecture, avec leur éditeur français :

  • 1898Intégrale de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires / Panini – janvier 2013 / 36,00€ : contient les tomes 1 et 2 des aventures de la Ligue qui se déroulent à la fin du XIXe siècle.
  • 1910 La Ligue des Gentlemen Extraordinaires – Century : 1910 / Delcourt – février 2010 / 15,50€ : nouveau cycle, la Ligue fait face à l’arrivée de l’antéchrist…
  • 1935 Nemo : Cœur de Glace / Fusion Comics – novembre 2013 / 13,00€ : 15 ans après la mort de son père, Janni Dakkar, nouveau Capitaine Nemo, vit ses propres aventures.
  • 1941 Nemo : les Roses de Berlin / Fusion Comics – janvier 2015 / 13,00€ : Berlin… Janni Dakkar vient régler ses comptes avec le Reich…
  • 1958 La Ligue des Gentlemen Extraordinaires : le Dossier Noir / Panini – octobre 2013 / 29,95€ : la Ligue revient en Angleterre pour retrouver le fameux Dossier noir contenant toute l’histoire des différentes Ligues.
  • 1969 La Ligue des Gentlemen Extraordinaires – Century : 1969 / Delcourt – octobre 2011 / 15,50€ : la folie des années 60-70 rend la mission de la Ligue très difficile…
  • 1975 Nemo : Fleuve de Fantômes/ Fusion Comics – janvier 2015 / 13,00€ : Janni Dakkar embarque pour sa dernière aventure et son dernier voyage…
  • 2009 La Ligue des Gentlemen Extraordinaires – Century : 2009 / Delcourt – novembre 2012 / 15,50€ : c’est l’heure de l’affrontement final ! La Ligue sauvera-t-elle le monde de l’apocalypse ?

Pour l’heure, aucune suite n’est envisagée.

Les personnages

La Ligue de Moore a connu deux compositions différentes… Celle des deux premiers tomes était constituée des personnages suivants :

  • Mina Murray, femme forte et indépendante, dont la rencontre avec Dracula a laissé des séquelles ;
  • Allan Quatermain, lassé de la vie et accro à la morphine ;
  • le docteur Henry Jekyll et son alter ego, Mr Hyde, dont la monstruosité n’est qu’apparente ;
  • le capitaine Nemo, honorable et implacable ;
  • Hawley Griffin, l’Homme invisible (Alan Moore lui donne le prénom du meurtrier Hawley Harvey Crippen), sociopathe et pervers.

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A la suite des deux premiers tomes, les choses tournent mal pour plusieurs personnages et Nemo quitte la Ligue pour reprendre sa vie de pirate. Aussi, dans le tome 1910, nous retrouvons une ligue plus réduite, Mina n’étant que la seule rescapée de la première équipe avec, à ses côtés :

  • Allan Quatermain Jr., fils du célèbre aventurier mais qui a hérité de son côté dépressif ;
  • Orlando, un immortel hermaphrodite et grand guerrier ;
  • Arthur J. Raffles, version « cambrioleur » de Sherlock Holmes.

Jusqu’à la fin, la Ligue sera essentiellement constitué du trio Mina-Allan-Orlando. Elle croisera souvent la route de Janni Dakkar, fille et héritière du Capitaine Nemo, sans que celle-ci intègre officiellement la Ligue. De même, plusieurs personnages interagissent avec eux dont les plus notables (et plus connus) sont Mycroft Holmes (frère de Sherlock), James « Jimmy » Bond et ses remplaçant (J3, J4…), Emma Peel ou encore Tom Jedusor.

Un film… pas si extraordinaire

18362803Entre la notoriété d’Alan Moore et le succès de la série, le cinéma s’intéresse rapidement à la Ligue. En 2003, 4 ans après la première publication du comic, l’adaptation (très libre) de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires sort sur grand écran avec Stephen Norrington à la réalisation (à qui on doit aussi Blade).

Le pitch reprend globalement l’intrigue du premier tome mais déplace l’action dans différents endroits du globe. Les protagonistes sont aussi changés et c’est sans doute là que se trouve le plus grand défaut du film… En effet, dans le comic, c’est Mina qui mène la Ligue, allant à l’encontre des mœurs de l’époque qui ne laissaient pas beaucoup de place à l’indépendance des femmes. Dans le film, Mina est une vampire et, tout au plus, une espèce de bonus dans les combats. L’attention se porte plutôt sur Allan Quaterman, dernier rôle de Sean Connery, et la relation père-fils qui s’installe avec Tom Sawyer, interprété par Shane West, personnage totalement inventé pour « charmer » le public américain. Alan Moore, toujours prompt à critiquer les adaptations de ses œuvres, s’exprima à ce sujet : « Dans le film adapté de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires — dont je n’ai rien à faire et que je n’irai pas voir —, les producteurs américains ont cherché à introduire des personnages américains pour contrebalancer tous ces personnages européens. Le seul qu’ils aient pu trouver était Tom Sawyer. Ce qui en dit long, je pense, sur la pauvreté de l’imaginaire américain. »
Moore n’est pas tendre… certains diront que c’est justifié tant le film ne rend pas hommage au comic. Toutefois, pour avoir vu la Ligue avant de l’avoir lu, ça reste un divertissement plaisant, très vernien et visuellement sympathique… en somme, un bon film pop-corn à grand spectacle… mais clairement à dix mille lieues (sous les mers ?) de l’œuvre dont il s’inspire. Dommage !

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Il faut savoir, cependant, que la Fox est assez tenace concernant ses licences acquises… Exemple type : les 4 Fantastiques. En effet, le studio arrivant au bout de ses droits a vite entrepris un nouveau film (en salle en août 2015), quitte à faire encore pire que les 2 premiers opus. Espérons qu’il en sera autrement pour la Ligue. La rumeur court (et semble se confirmer) qu’une nouvelle adaptation est prévue, plus fidèle aux comics… du moins on l’espère !

Penny Dreadful, l’héritière

En attendant une nouvelle version grand écran, c’est du côté du petit que les fans de la Ligue peuvent trouver satisfaction. Créée en 2014 sur Showtime, Penny Dreadful est ce que devrait être une bonne adaptation de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires : sombre, violente, sanglante, érotique, terrifiante et d’un esthétisme aussi soigné que celui du Dracula de Francis Ford Copola. Bref, un petit bijou dont la deuxième saison est déjà à savourer sur Netflix !

Penny Dreadful est aussi une transposition libre de personnages issus de la littérature du XIXe siècle. Ils s’associent, dans un premier temps, pour aider Sir Malcom Murray (campé par un très bon Timothy Dalton) à retrouver sa fille, Mina, victime d’une créature inconnue. Pour se faire, le père désespéré réunit autour de lui plusieurs « spécialistes » :

  • Vanessa Hives, voyante, amie d’enfance de Mina, très mystérieuse, portée par le sombre charme d’Eva Green ;
  • Ethan Chandler, interprété par Josh Hartnett, cow-boy d’opérette mais véritable porte-pistolets, chargé d’assurer la sécurité du groupe mais portant un lourd secret lié au cycle de la lune…
  • Le Docteur Victor Frankenstein (sous les traits blafards de Harry Treadaway), référence médicale mais qui cache aussi des squelettes dans ses placards ;
  • Et Sembene (Danny Sapani), domestique, confident, homme à tout faire qui a suivi Sir Malcom Murray depuis son Afrique natale et dont on sait, pour l’instant, peu de choses.

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Comme dans la Ligue, plusieurs personnages secondaires viennent compléter leur groupe ou, du moins, le croise régulièrement. Ainsi, il n’est pas rare de tomber sur Dorian Gray, la créature de Frankenstein ou une sorcière qui causera bien des ennuis au petit groupe pendant la saison 2.

Penny Dreadful se distingue aussi par son format. Chaque épisode dure près de 60 minutes et les saisons sont courtes, entre 8 et 10 épisodes. Cela a pour effet de donner à la série une intensité et une dynamique qu’on ne retrouve pas dans les formats classiques et qui rappelle celle de Game of Thrones. En somme, entre l’ambiance, les personnages et les intrigues, tous les ingrédients sont là pour faire une excellente version de la Ligue des Gentlemen Extraordinaires !
A voir, sans hésiter !!

2 thoughts on “La ligue la plus extraordinaire !

  1. Super article, qui m’a permit d’y voir plus clair dans la publication française de cette série.

    Est-ce que tu n’aurais pas un lien vers un site qui liste toutes les références qu’on peut trouver dans la série ? J’en trouve beaucoup moi-même, mais je suis parfois frustré de ne pas saisir l’origine d’un personnage…

    1. Merci Vincent.
      Je ne connais pas de site qui s’est attaché à cette terrible besogne, seulement un livre écrit par Jess Nevins, Heroes and Monsters. The Unofficial Companion to The League of Extraordinary Gentlemen et qui, apparemment, apporte beaucoup de renseignements. Mais c’est en anglais…

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